âMais quiconque entend ces paroles que je dis, et ne les met pas en pratique, sera semblable Ă un homme insensĂ© qui a bĂąti sa maison sur le sable.â Matthieu 7.26
Il Ă©tait une fois trois frĂšres qui ne parvenaient jamais Ă se mettre dâaccord. Quelle que soit la question dĂ©battue, sâil semblait quâon puisse lâaborder de deux façons diffĂ©rentes, ils faisaient toujours montre dâune crĂ©ativitĂ© formidable pour en trouver une troisiĂšme. Lâun votait Ă droite, lâautre Ă gauche et le troisiĂšme sâabstenait Ă tous les scrutins. Lâun prĂ©fĂ©rait les CitroĂ«n, lâautre les Peugeot et le troisiĂšme les Renault. Lâun nâaimait que les glaces Ă la vanille, lâautre ne les voulait quâĂ la fraise et le troisiĂšme au chocolat. Si on leur montrait une voiture et quâon leur en demandait la couleur, lâun disait : « mauve », le second : « prune » et le troisiĂšme : « plutĂŽt bordeaux ».
Leur mĂšre, en les Ă©coutant, hochait la tĂȘte et sâĂ©tonnait en son for intĂ©rieur. Comment diable nos fils, nĂ©s et Ă©levĂ©s dans la mĂȘme famille, sây sont-ils pris pour ĂȘtre si diffĂ©rents ? Il arrivait que ce soit un peu amusant. Mais la plupart du temps, câĂ©tait plutĂŽt exaspĂ©rant !
Un beau jour, Ă lâaube de leur vie dâadultes, Mauve, Prune et Bordeaux partirent chercher fortune. Lâheure Ă©tait venue, leur avait fait savoir leur pĂšre, de fonder leurs propres foyers. Pour sây prĂ©parer, ils avaient fait un inventaire dĂ©taillĂ© dâĂ peu prĂšs toutes les sources dâinformation disponibles : ils avaient consultĂ© des ingĂ©nieurs conseils et dâautres experts, sâĂ©taient servi de lâInternet, avaient fait leur miel du savoir accumulĂ© sur les rayons de la bibliothĂšque municipale et en avaient mĂȘme fait un sujet de priĂšre.
DĂ©sireuse de leur proposer une autre approche, leur mĂšre, toute de calme et dâhumilitĂ© comme Ă son habitude, leur suggĂ©ra de rĂ©flĂ©chir Ă un conte traditionnel, vieux comme le monde â lâhistoire de deux hommes dont lâun avait Ă©rigĂ© sa maison sur le roc alors que lâautre avait construit la sienne sur du sable. Ce rĂ©cit avait toujours Ă©tĂ© interprĂ©tĂ© sans difficultĂ© parce que celui qui lâavait racontĂ© en avait immĂ©diatement tirĂ© explicitement la leçon, appliquĂ©e Ă la vie humaine. Il nây avait, semblait-il, quâun seul choix prudent et la maman souhaitait â contre tout espoir â quâĂ ce sujet au moins, ses trois fils tombent dâaccord.
Ce ne fut hĂ©las pas le cas. Comme pour tout le reste, Mauve, Prune et Bordeaux firent du rĂ©cit des deux maisons des lectures totalement divergentes. Et pendant que leur pauvre mĂšre se tordait les mains en se disant quâelle avait sans doute fait erreur en mentionnent lâhistoire des deux maisons, ses fils se mirent en route. Comme il y a quatre points cardinaux, cela leur permit dâemprunter â comme on sây serait attendu â des directions diffĂ©rentes, avec une disponible, comme en secours.
Mauve, comme toujours le plus stable et le plus sensĂ©, fit sienne lâinterprĂ©tation que le narrateur original avait donnĂ© de son histoire. Ayant Ă©tudiĂ© de fond en comble tout le terrain dont il disposait, il commença Ă bĂątir les fondations de sa maison sur la roche la plus solide quâil ait pu trouver. « Je sais ce que veut dire cette histoire », affirmait-il.
Prune se moqua : « Cette histoire est si vieille quâelle nâa plus aucun sens, dit-il. On a fait de tels progrĂšs en gĂ©nie civil et en techniques du bĂątiment que lâon peut construire oĂč ça nous plaĂźt. » Il fit donc appel Ă un entrepreneur pour quâil lui bĂątisse sans plus tarder une jolie maison sur la plage, les pieds dans lâeau.
Bordeaux se considĂ©rait depuis toujours dâun calibre intellectuel supĂ©rieur aux deux autres. « Lâhistoire des deux maisons est toujours valable, dit-il, mais il faut savoir lire entre ses lignes. Nous sommes censĂ©s nous servir de nos cerveaux et si vous voulez tirer la substantifique et vĂ©ritable moelle de ce rĂ©cit, il vous faut tenir compte de lâĂ©poque Ă laquelle il fut racontĂ© pour la premiĂšre fois et de lâauditoire auquel il Ă©tait destinĂ©, sa sphĂšre dâexpression en quelque sorte. » Ah, comme il aimait ces termes sphĂšre dâexpression et substantifique moelle, qui semaient la confusion chez ses frĂšres. Il pensait quâemployer des concepts aussi alambiquĂ©s dĂ©montrait sa supĂ©rioritĂ© intellectuelle.
Son interprĂ©tation de lâhistoire des deux maisons amena Bordeaux Ă construire la sienne⊠sur lâeau ! Peut-on imaginer meilleure protection contre la pluie et les inondations, songeait-il, que de bĂątir sa maison de maniĂšre Ă ce quâelle monte et descende en fonction du niveau des eaux ? La bĂȘtise dâune construction sur le sable nâĂ©tait-elle pas Ă©vidente aux yeux de tous, alors quâĂ©tant bĂątie sur du roc, une maison ne sâeffondrerait sans doute jamais, mais quâon courait le risque dâimmenses dĂ©gĂąts des eaux en cas dâinondation â hypothĂšse bien peu attrayante, surtout pour Bordeaux.
Pas de doute, construire sur lâeau â une maison flottante â telle Ă©tait LA rĂ©ponse. LâĂ©poque du narrateur original nâavait bien sĂ»r jamais connu cela, mais la pensĂ©e moderne quâincarnait Bordeaux avait fourni une solution novatrice Ă cette histoire de pluie et dâinondations. « Nous sommes censĂ©s marcher avec notre Ă©poque, proclama-t-il. A quoi bon toute lâĂ©rudition du monde si nous ne sommes pas disposĂ©s Ă lâappliquer aux problĂšmes de la vie quotidienne ? »
Et câest ainsi que les trois frĂšres bĂątirent leurs maisons de rĂȘve, chacun Ă lâendroit qui lui convenait le mieux. Les trois maisons firent lâobjet dâune grande admiration au sein de la population, car chacune Ă©tait Ă nulle autre pareille. La page immobiliĂšre du journal local leur consacra un article tout Ă fait Ă©logieux, abondamment illustrĂ© de photographies et insistant sur lâaspect humain de la construction. Il commençait ainsi : « Il Ă©tait une fois trois frĂšres qui ne parvenaient jamais Ă se mettre dâaccord⊠»
Soudain les entrepreneurs et les agents immobiliers de toute la rĂ©gion ont senti quâils Ă©taient en plein boum. Les clients se sont mis Ă dĂ©crire ce quâils cherchaient en sâinspirant du style des maisons des trois frĂšres. « Je cherche une maison du genre de celle de Mauve », disait lâun.
« Ne penses-tu pas quâune âPruneâ aurait grand air Ă cet endroit ? » demandait une Ă©pouse Ă son mari. Alors quâun homme exigeait : « Ma femme adore la maison Bordeaux. Pouvez-vous nous en trouver une ? »
Tout le monde Ă©tait Ă ce point passionnĂ© par le marchĂ© de lâimmobilier et ses multiples projets que personne ne fit attention aux premiĂšres lĂ©gĂšres bourrasques et aux toutes premiĂšre gouttelettes de ce que lâon allait plus tard appeler « la mĂšre de toutes les tempĂȘtes ». Il sembla en premier lieu que ce ne serait quâun accĂšs de mauvais temps comme un autre, le genre de chose qui fait entonner ce vieux refrain : « Ces gens de la mĂ©tĂ©o disent vraiment nâimporte quoi ! »
Mais cette fois-ci, lâorage ne fit que croĂźtre, sa fureur semblant ne jamais devoir faiblir. Comme le dit un vieux chant : « La pluie est tombĂ©e et lâeau est montĂ©e. » Ce fut aussi simple que terrifiant. Quand le niveau de lâeau atteignit leurs maisons, Mauve et Prune durent sâenfuir et se diriger vers des terres plus hautes. Bordeaux, quant Ă lui, lâair suffisant, contemplait de son balcon lâĂ©volution de la tempĂȘte. « Je crois, se disait-il, que ceci va dĂ©montrer une fois pour toutes qui est le plus malin de nous trois. »
AprĂšs des jours et des jours oĂč le vent et la pluie avaient rĂ©gnĂ© sans partage, la « mĂšre de toutes les tempĂȘtes » finit par se calmer. Mauve regagna sa maison, la trouva intacte et se mit Ă la nettoyer. Celle de Prune avait cessĂ© dâexister et il dĂ©cida donc, tout bien rĂ©flĂ©chi, de la reconstruire en un lieu plus sĂ»r. Quand les secours vinrent constater comment Bordeaux sâen Ă©tait tirĂ©, ils ne trouvĂšrent plus rien. La maison avait rompu ses amarres et avait Ă©tĂ© entraĂźnĂ©e comme un fĂ©tu de paille par la tempĂȘte dĂ©chaĂźnĂ©e. Nul ne la revit jamais.
Et un journaliste de conclure ainsi son reportage sur lâaffaire : « Il semble quâaprĂšs tout il nây ait eu en fait que deux possibilitĂ©s entre lesquelles choisir. »
Gary Swanson Ă©dite CQ, auparavant The Collegiate Quarterly (un guide pour lâEcole du sabbat destinĂ© aux universitaires), et est lâauteur de nombreux articles. www.cq.youthpages.org
Source : Dialogue Adventiste
Le Morning Watch est premier plan de lecture du dĂ©partement de la Jeunesse Adventiste paru pour la premiĂšre fois en 1908, soit un an avant lâintĂ©gration officielle du dĂ©partement dans lâorganigramme de lâEglise.
Le Morning Watch mis en ligne depuis janvier 2020 est lâĂ©dition de lâannĂ©e 1908.